mHealth : l'information de santé pubique ?

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mHealth : l'information de santé pubique ?

Les technologies numériques offrent de nombreuses possibilités d’application dans le domaine de la santé. Du « dossier patient » en ligne à l’envoi dématérialisé de données cliniques en passant par le rappel de rendez-vous par SMS, les systèmes de santé du monde entier y recourent de manière croissante dans un contexte de réduction des ressources et des dépenses de santé, mais aussi d’implication croissante des patients. L’eHealth – la santé sur internet – a ainsi donné lieu à de nombreux travaux de recherche, sur la nature des informations de santé sur le web, les reconfigurations des rôles de profane et d’expert en santé permises par cet outil ou encore la transformation de la relation patientsoignant qui en découle. L’utilisation du téléphone portable et des technologies sans fil, appelée « mHealth » « mobile Health » ou « mSanté », est moins étudié.

D’après The world en 2014 dans le magazin ICT facts and figures, février 2014., on compte presque sept milliards d’usagers « mobile » : 96% de la population mondiale utilise un téléphone portable et 89% de la population des pays en développement. En comparaison, 79% de la population mondiale regarde la télévision et 39% accède à internet avec des concentrations très fortes dans les pays les plus développés (97% des Européens regardent la télévision et 77% surfent sur internet contre 28% et 7% des Africains). Le téléphone portable deviendrait ainsi la technologie d’information et de communication la plus diffusée dans le monde et le principal média de masse.

Au cours des trois dernières années, de nombreux acteurs du secteur de la santé et des télécoms ont mesuré le potentiel de la santé sur téléphone portable et lancé quantité de projets de mHealth dans le monde. Avec plus de 40.000 « apps » de santé téléchargeables sur les principales plateformes mobiles (Apple et Google) dans les pays développés et près de 1000 projets de mHealth déployés dans les pays les plus pauvres, ces dispositifs constituent de nouveaux médias d’information de santé à analyser. Quelles sont les caractéristiques de ces dispositifs d’information ? Qui informe qui et comment ? Cet article en propose une première approche qui s’appuie sur la lecture et l’analyse de corpus de textes, allant de la presse scientifique à la littérature grise en passant par les rapports internationaux.

Lecture exhaustive et analyse qualitative de quatre corpus.…. Il étudie comment la mHealth se constitue dans les discours et quelles caractéristiques lui sont prêtées. Médecine ou Santé mobile ?

La mHealth ou mobile health ou mSanté est un sous-domaine de l’ehealth, c’est-à-dire l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TICs) dans le champ de la santé qui se concentre uniquement sur les technologies utilisées sur des supports mobiles (téléphones portables, tablettes, PDAs, smartphones) – même si celles-ci peuvent avoir été conçues pour des plateformes en ligne utilisables également sur un ordinateur. Le terme de mHealth reste peu utilisé en français. Il est la plupart du temps traduit par des périphrases : les applications mobiles de santé ou les dispositifs mobiles de Télésanté et plus rarement par le terme m-santé employé notamment par l’opérateur téléphonique français Orange et parfois repris dans la presse francophone.

Ces dispositifs mobiles de santé apparaissent au début des années 2000 : le champ de la mHealth se limite alors à la télémédecine via mobile, soit des dispositifs médicaux conçus pour des professionnels de santé. Cette définition restreinte de la mHealth était encore utilisée récemment par certaines institutions majeures du secteur des TICs. Dans un rapport publié en 2010, l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) ne fait état que de projets de télémédecine mobile pour décrire ces dispositifs.

FDA, Mobile Medical Applications : Guidance for Industry and… par l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) sur la réglementation de la mHealth aux États-Unis établit une distinction entre les applications mobiles qui relèvent de son contrôle et les autres. Seules les applications utilisées comme « dispositif médical » sont couvertes par la FDA. Ainsi la FDA comme l’UIT se concentrent sur une portion restreinte de la mHealth, la pratique médicale professionnelle via mobile ou télémédecine mobile. Réduire la mHealth à la télémédecine mobile équivaudrait à réduire la santé à l’exercice de la médecine, et c’est pourquoi de nombreux acteurs militent pour une définition plus large de la mHealth.

Dans le premier rapport qu’elle lui consacre en 2011, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit la mHealth comme la pratique de la médecine et de la santé publique assistée par des technologies mobiles. Ainsi le dispositif ne se cantonne pas à la pratique médicale mais s’étend au champ plus large de la santé publique. L’OMS segmente alors la mHealth en distinguant les projets : communications des individus vers les services de santé (call centers, ligne d’aide ou d’urgence), communications des services de santé vers les individus (rappels de rendez-vous ou de prise de traitement, campagnes de sensibilisation et de mobilisation sur des thèmes de santé), et communications entre professionnels de santé (télémédecine mobile, gestion des urgences intersectorielles, monitoring et surveillance des patients, collecte de données patient et constitution du dossier patient, outils d’aide au diagnostic et à la décision). La télémédecine mobile représente un fragment du champ de la mHealth ainsi exposé. La Banque Mondiale suit également cette tendance « Au début de son développement, en 2003, la mHealth était définie comme de la télémédecine sans fil, utilisant les télécommunications mobiles et les technologies multimédias pour délivrer des soins mobiles. Depuis, elle a dépassé cela pour définir toute utilisation des technologies mobiles pour répondre à des besoins de santé : accès, qualité, coûts, utilisation des ressources, normes comportementales. »

Des dispositifs pléthoriques mais d’accès restreint En termes quantitatifs, on trouve peu de données sur les applications de mHealth en dehors de celles diffusées par les opérateurs et fournisseurs de technologies mobiles, notamment par l’intermédiaire de leur structure représentative au niveau international, la GSM Association (GSMA). L’OMS ne chiffre pas, dans son rapport consacré à la mHealth, le nombre d’applications dans le monde mais reporte que 83% des Etats membres déclarent au moins un projet de mHealth. Côté pays développés, certaines agences annoncent 100.000 applications de mHealth téléchargeables en 2013. L’Institute for Healthcare Informatics (IMS), qui a produit le premier rapport d’analyse détaillée des applications de mHealth disponibles sur les plateformes les plus utilisées d’Apple et Google.

IMS, Patient Apps for Improved Healthcare : From Novelty to… aux Etats-Unis en 2012, explique que sur les 43.000 applications de santé mobiles diffusées sur ces plateformes, seulement la moitié relève d’après eux « authentiquement » du champ de la santé.

La mHealth utilise et capitalise sur les fonctions centrales des téléphones portables (voix et SMS) mais également sur les fonctionnalités et applications plus complexes permises par les nouvelles générations de téléphones portables appelées « smartphones » et les systèmes de transmission de données : GSM (Global System for Mobile Communications), GPRS (general packet radio service), 3G, 4G, GPS (global positioning system), Wifi ou encore Bluetooth. Les logiciels qui portent les plateformes d’applications mobiles oscillent entre des systèmes libre-accès et propriétaires nécessitant une capacité technique en terme de traitement et de stockage des données qui n’est disponible que sur les mobiles les plus récents. Plus d’un quart des mobiles dans le monde seraient des smartphones d’après les estimations des industriels, avec des écarts importants entre pays développés et pays émergents (73% des utilisateurs mobiles en Corée du Sud, 42% en France, 26% au Brésil, 13% en Inde). Seuls les smartphones peuvent utiliser les millions d’applications disponibles sur les différentes boutiques d’applications mobiles. Si avec 7 milliards d’utilisateurs, le téléphone portable devient un objet technologique accessible partout dans le monde, les plateformes d’applications mobiles grand public restent l’apanage des paysans les pays les plus pauvres.

Les modalités d’accès à la mHealth sont donc très différentes dans les pays développés et dans les pays en développement. Les pays développés valorisent des applications mobiles pour smartphones, tandis que des dispositifs par SMS ou messages vocaux seront privilégiés pour les pays en développement ou pour cibler les populations les plus pauvres dans les pays développés. Les volumes sont également très hétérogènes alors que l’on compte presque un millier de projets de mHealth cumulés dans les pays en développement, les applis mobiles de santé via les Apps Store se comptent par dizaines de milliers dans les pays développés. L’accès direct et individuel à ces dispositifs par un smartphone demeure impossible dans beaucoup de pays en développement. L’étude du mobile comme outil d’information de santé reste conditionnée par les modes d’accès à ces informations. La mHealth s’appuie sur une pratique individuelle grandissante dans les pays développés et tout juste naissante dans les pays émergents. L’enregistrement et la visualisation des données collectées en temps réel par téléphone portable peuvent permettre d’anticiper les risques sanitaires. EpiSurveyor, déployé dans plusieurs pays d’Afrique Sub-Saharienne, propose une surveillance épidémiologique sur mobile. Des travailleurs de santé collectent des informations de santé sur le terrain grâce à leur mobile et réalisent ainsi des enquêtes épidémiologiques permettant d’appréhender les situations locales de santé et d’identifier les risques ou débuts d’épidémies. La collecte d’informations et la transmission immédiate de celles-ci par mobile permettent une réactivité plus grande et une mise à jour des données en temps réel.

Ces promesses d’usages structurent le champ de la mHealth, elles lui donnent une matière qu’elle n’a pas encore, celle de l’acceptation et de la routinisation des pratiques de santé sur mobile. Ces pratiques naissantes constituent un terrain de recherche vierge à explorer. La multiplication récente des projets de mHealth dans le monde illustre un mouvement général de globalisation et de technologisation de la biomédecine. L’idée que les TIC permettent une amélioration de la prise en charge, une diminution des disparités de santé et une optimisation des systèmes de santé a pris corps ces dernières années dans un ensemble de dispositifs techniques variés : eHealth, mHealth, télémédecine, etc. La mHealth constitue un vecteur particulier de ce mouvement global mais dépasse le cas de la téléphonie mobile pour montrer comment les technologies participent à l’émergence de nouveaux pouvoirs, à la recomposition des rôles et à la globalisation des dispositifs dans le champ de la santé. Il faudrait maintenant analyser en profondeur les modalités et enjeux du développement d’actions de mHealth et leur inscription dans un contexte d’évolution de la santé publique. Cette étude exploratoire nous a permis de dresser un premier aperçu de ce domaine. À travers les définitions qu’on lui donne, les rôles qu’on lui assigne, les imaginaires que l’on suscite, les contours de la mHealth se dessinent et des problématiques nouvelles de recherche émergent.

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